jeudi 31 mai 2018

Les Soeurs Carmines, tome 3 : Dolorine à l'école

Auteur : Ariel Holzl
Edition : Mnémos (Indés de l'Imaginaire)
Collection : Naos
Parution originale : 24 mai 2018
Genre : Jeunesse, Fantasy, Steampunk
Origine : France
Nombre de pages : 262
   Résumé : L'école de la vie n'a point de vacances. Même quand on y meurt.Pour Dolorine Carmine, la rentrée des classes est une bonne occasion de se faire de nouveaux ennemis camarades. Cependant, la fillette n'a pas trop l'habitude de parler avec les vivants. les fantômes, en revanche... Dans le pensionnat bizarre tout à fait normal où elle a atterri, les spectres manquent pourtant à l'appel. Ont-ils été chassés par les horreurs mignonnes petites bestioles des environs ? A moins qu'ils ne travaillent au laboratoire de Miss Elizabeth, la nouvelle institutrice ?
Personne ne semble avoir la réponse.
Monsieur Nyx veut tout brûler.
Mais Dolorine reste optimiste : en fouinant partout, elle finira bien par les retrouver ! Un peu de curiosité n'a jamais tué personne... si ?
"Ça compte comme un truc qu'on fait dans la vie, être mort ?" p. 47

   On se retrouve aujourd'hui pour parler du dernier tome des Sœurs Carmines de Ariel Holzl, que j'ai encore une fois dévoré très rapidement. Et pourquoi tu te demandes ? Parce que je l'ai adoré, tiens !
   Si le premier tome était consacré à Merryvère, et le deuxième à Tristabelle, vous vous doutez, je pense, que le troisième et dernier tome suit les aventures de Dolorine Carmine. Ce tome-ci est un peu différent des autres, car il change de cadre pour son intrigue principale : nous quittons Grisaille pour le pensionnat où Dolorine va commencer ses études. Cependant, le récit que nous livre ce dernier tome n'est pas dénué de lien entre le pensionnat et la ville qui caractérise l'univers de cette trilogie.

   C'est la première année de Dolorine à l'école, et elle est super excitée parce qu'elle est déterminée à se faire de vrais amis vivants pour une fois, forte des précieux conseils que lui a prodigué sa peluche Monsieur Nyx, à base de meurtres et de pièges, bien évidemment. Mais elle est aussi ravie d'intégrer le pensionnat, parce qu'il paraît que c'est le genre d'endroit qui regorge de fantômes. Malheureusement, il apparaît bien vite à Dolorine que les fantômes ne sont pas au rendez-vous, et elle décide alors de consacrer son temps libre à leur recherche, entre les cours, les coups bas entre camarades de classe et les mystérieuses fées qui peuplent la forêt alentour...

    Une fois de plus, ce que j'ai le plus aimé dans ce tome, c'est l'atmosphère que dégage le roman. Le décor du pensionnat renforce le caractère gothique de la trilogie. D'ailleurs, ce pensionnat en a rappelé un autre à mon bon souvenir, dans un roman classique anglais qui utilise aussi des procédés du roman gothique : le pensionnat de Lowood dans Jane Eyre de Charlotte Brontë. Je ne sais pas si c'était voulu, mais j'ai retrouvé quelques similitudes avec celui-ci dans Les Sœurs Carmines, ce qui est à rajouter à ma bonne expérience de lecture. 
   Et puisque nous parlons de l'intertextualité du roman, nous retrouvons également des références à Frankenstein de Mary Shelley sur le besoin universel de tromper la mort, aux films de zombies, ainsi qu'aux révoltes communistes qui ont ponctué notre Histoire. Ça y est, j'ai votre attention ?

   Nous connaissions déjà Dolorine à travers les pages de son "Journal secret et mystérieux" que nous ne devions SURTOUT pas lire mais dont quelques pages se sont sans doute retrouvées coincées par mégarde dans les deux tomes précédents lors de leur impression (Monsieur Nyx n'y est sans doute pas pour rien dans l'histoire...), et qui donnaient déjà une idée du personnage qu'est Dolorine. Celle-ci reste fidèle à elle-même, elle est très drôle, le plus souvent à ses dépens car elle se retrouve toujours dans des situations rocambolesques qu'elle affronte avec une insouciance et un optimisme à toute épreuve. Cela crée un comique de situation absolument génial, l'auteur se fondant sur le très jeune âge, et donc l'innocence, de la petite fille qui ne comprend pas très bien le monde qui l'entoure et s'invente ses propres histoires pour lui donner un sens.

 " Je crois que Maman fait des trucs de "s'hex"... hasarda Dolorine.
- S'hex ? s'étonna Desdémone. Comme les "hex" des sorcières ?
- Oui. Mais avec plus de bisous ! Le "s'hex", c'est la magie des câlins." p. 47

   Ariel Holzl use également du comique de l'absurde en se servant de l'imagination débordante dont font preuve les enfants qui constituent une majorité des personnages de ce roman. Notamment, et je trouve cela d'une grande finesse, il utilise le jeune âge de ses personnages pour jouer avec les mots et le vocabulaire, et pour appuyer sur la complexité de certains mots pour des enfants. Ils vont alors, en décomposant le mot, et en passant par des explications tirées par les cheveux, donner une définition du mot très similaire à celle des adultes, ce qui constitue un certain type d'humour assez subtil que j'affectionne beaucoup.

"Elle était certaine qu'il s'agissait d'un de ces subterfuges onctueux du langage que l'on regroupait sous le terme de "l'arête-au-Rick".
La fillette ne connaissait pas personnellement le dénommé "Rick", mais il semblait avoir inventé tout un tas d'expressions permettant de dire le contraire de ce que l'on pensait vraiment. Grâce à elles, on pouvait finir les conversations épineuses en queue de poisson - d'où l'"arête" en question." p. 49

   Nous retrouvons une fois de plus dans ce dernier tome une caractéristique de l'écriture de l'auteur que j'adore : il change de style d'écriture en fonction du point de vue du personnage. Le premier tome se faisait passer pour un roman de cape et d'épée avec Merryvère, rappelant l'univers du jeu vidéo dans lequel l'auteur a travaillé ; le deuxième se présentait comme une sorte de monologue entre Tristabelle et le lecteur, et ce tome-ci ressemble à un cahier d'écolier, avec des râteaux radeaux naseaux ratures qui ponctuent le récit, des petits dessins (que nous devons à Melchior Ascaride, un illustrateur dont j'aime beaucoup le travail et qui a aussi dessiné les couvertures des trois tomes) un peu partout, des effets de style qui donnent l'impression que le livre est piqueté de taches d'humidité, ainsi que des pages du journal de Dolorine. Ceci renforce le côté enfantin et puéril de Dolorine, qui est tout de même une très jeune enfant, mais souligne également l'intelligence et la curiosité dont elle fait souvent preuve. 
   De plus, il est intéressant de passer par le prisme du regard de Dolorine dans ce tome, car l'auteur se sert de l'impact que le monde a sur la perception de l'enfant pour modeler son écriture. Dolorine est un personnage à la fois innocent et très étrange, qui a sa propre vision des évènements qu'elle vit et n'hésite pas à en faire part à son lecteur. Cependant, il existe un décalage entre ces évènements tels qu'elle les vit, et la façon qu'elle a de les raconter au lecteur, ce qui fait d'elle un narrateur non fiable, comme l'était Tristabelle dans le deuxième tome, la différence étant que ce n'est jamais calculé avec Dolorine, elle est simplement sans filtre entre son imagination et la réalité. Cela demande au lecteur de faire un effort pour démêler le vrai du faux dans ce qu'elle raconte.

  Par ailleurs, l'intrigue de ce tome permet de s'attarder sur certains détails de l'histoire, en filigrane, sans que l'auteur ne se montre explicite sur le sujet. Il aborde notamment les tensions qui régissent les relations entre les huit familles nobles de Grisaille, puisque tous les camarades de classe de Dolorine sont issus de la noblesse, ainsi que sur la famille qui a disparu, les Amécrins ; on apprend enfin des choses sur la nature de Monsieur Nyx, la peluche mystérieuse de Dolorine, ainsi que sur ce que représente le progrès technologique dans l'univers de l'auteur. Le fait que l'auteur crée cette sorte de connivence, de dialogue tacite avec le lecteur montre que le propos de ce roman est assez mature malgré les apparences, et qu'il existe plusieurs niveaux de lecture dans cette trilogie, destinée à la jeunesse mais qui envoie également des messages aux plus âgés de ses lecteurs.

   En définitive, Dolorine à l'école constitue une belle conclusion à une trilogie scandaleusement géniale. Dolorine, bien qu'elle partage avec ses sœurs le fait d'être une anti-héroïne atypique et imparfaite qui rompt avec les codes de l'héroïne traditionnelle de roman, est la plus attachante et attendrissante des trois sœurs Carmines, bien qu'en y réfléchissant bien, je la trouverais flippante avec sa peluche si je la croisais. J'ai par conséquent passé un excellent moment en compagnie de cette famille dans les rues de Grisaille, et j'attends de voir l'auteur s'illustrer dans d'autres œuvres, littéraires ou non d'ailleurs.

https://buffyslibrary.blogspot.fr/search/label/Coup%20de%20c%C5%93ur

mercredi 2 mai 2018

100 000 canards par un doux soir d'orage

Auteur : Thomas Carreras
Edition : Sarbacane
Collection : Exprim'
Parution originale : 2015
Genre : Horreur, Jeunesse, Humour
Origine : France
Nombre de pages : 312
Résumé : Anatidaephobia [n.f.] : Peur panique à l'idée d'être observé par des canards.
Quand Ginger, globe-trotteuse de 19 ans, débarque à Merrywaters - le bled le plus paumé d'Angleterre - pour assister à un festival de musique, elle est loin de se douter que les canards seraient aussi nombreux dans le coin. Ni qu'ils commenceront à l'espionner...
LA SUITE ? AH NON, C'EST TOUT, ON NE VOUS DIT PLUS RIEN !

   Je tiens, au cas où certains volatiles seraient en train de m'observer en ce moment même, qu'aucun canard n'a été blessé au cours de ma lecture de 100 000 canards par un doux soir d'orage. Non parce que, si vous n'avez jamais ouvert le livre de Thomas Carreras, vous ne pouvez pas vous rendre compte à quel point ces piafs peuvent être diaboliques, sournois et meurtriers, et ce, quand tout le monde a le dos tourné, évidemment ! Oh non, j'espère qu'ils ne m'ont pas entendue ! Ils seraient capables de me le faire payer... Ils sont partout... ils m'observent...

   Par le bec d'un anatidé, ILS ME SUIVENT !

   Imaginez que vous venez de l'autre bout de la Terre pour assister à un minuscule festival de musique dans un bled pourri en Angleterre. Vous atterrissez dans un petit pub juste à côté du lieu du festival, vous obligez le patron à vous donner un job pour payer votre place, vous écoutez les histoires pleines de superstition des habitants, notamment des histoires à propos de canards... et vous commencez à remarquer que ces rôtis sur pattes ont un regard des plus mauvais, surtout celui-là, là-bas, au fond, avec la cicatrice qui va du haut du crâne jusqu'au bec, qui vous fixe d'une façon des plus inquiétantes... c'est l'expérience que va vivre Ginger, jeune américaine venue de Paradise City (et là je viens de vous mettre la chanson des Guns n'Roses dans la tête) et qui a tout donné pour voir son groupe préféré en concert. Ginger va complètement perdre la boule à cause de centaines de canards qui la poursuivent et veulent sa mort.

   Parce que, oui, je vous l'ai pas dit, mais ce roman est littéralement UN SLASHER AVEC DES CANARDS !
   Thomas Carreras, avec ce roman, rend hommage aux slashers américains, de type Vendredi 13 ou Halloween, dans lesquels les protagonistes sont poursuivis par une entité maléfique qui va les tuer d'une manière bien gore les uns après les autres, et ce, avec tous les tropes de ce genre de films : le personnage principal qui alerte tout le monde mais n'est cru par personne ; le grand méchant de l'histoire, ici le Désosseur, qui a un background des plus tragiques ; un environnement gothique, ici un bled paumé et grisâtre d'Angleterre, par une nuit d'orage. Et d'un autre côté, l'auteur mêle à cette atmosphère glauque une touche d'humour dans une satire bienveillante de l'anatidaephobie, une phobie des plus singulières puisqu'il s'agit de la peur panique à l'idée d'être observé par des canards.

   Et, nom d'un canard, qu'est-ce que le mélange est bon ! L'auteur arrive à retranscrire l'atmosphère d'un slasher grâce à un style d'écriture très cinématographique, en faisant des focus sur certains éléments du décors et des personnages, des effets de travelling sur les paysages, des zooms soudains, et le texte est travaillé comme si le personnage qui parle portait une caméra subjective à l'épaule. Cela instaure un effet dynamique à la lecture et la rend très fluide. Le début du roman est particulièrement hilarant grâce à un comique de situation très bien maîtrisé, mais au fur et à mesure de la lecture, l'atmosphère s'assombrit de plus en plus, en gardant tout de même son essence complètement loufoque.
   Thomas Carreras offre également des personnages bien construits, légèrement clichés certes, mais dans le contexte du roman, ce n'est pas dérangeant, c'est même une qualité puisque son intention est de mettre en lumière les différents tropes d'un bon slasher. De plus, et c'est ce que j'ai bien aimé, les personnages élaborent chacun de leurs plans pour s'en sortir en fonction des films et séries d'horreur et de zombies qu'ils ont pu voir : Shaun of the Dead, The Walking Dead, The Night of the Living Dead... ce qui crée un fort capital sympathie entre le lecteur et les personnages puisqu'on partage une certaine connivence avec eux, et cela renforce l'hommage aux films d'horreur que ce roman veut rendre.

   Si vous aimez les films d'horreur, si vous aimez l'absurde, alors 100 000 canards par un doux soir d'orage est un livre qui vous plaira très certainement, pour toutes les raisons que j'ai mentionné précédemment. C'est loufoque, et en même temps parfois un peu effrayant, c'est très intelligent et vraiment bien écrit ! J'avais l'impression d'être au cinéma, les yeux rivés sur mon livre. Il ne vous reste plus qu'à voler vers votre librairie pour acquérir cette perle, mais attention à ne pas y laisser des plumes !


Compteur Livraddict

Bannière Livraddict

Compteur Betaseries

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